Le tunnel et l’os journalistique

Les médias s’étaient préparés au pire avec le trafic. Cette semaine, la catastrophe appréhendée ne s’est pas produite avec le début du chantier au pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à Montréal. « On dirait que les automobilistes se sont volatilisés », soulignait un chef d’antenne en ondes. Les médias ont-ils crié au loup trop fort et fait peur au monde?

La couverture médiatique en début de semaine me rappelait mon travail comme journaliste lorsque je travaillais tôt le matin à Salut Bonjour et à LCN. La veille d’une grosse bordée de neige, les salles de nouvelles de TVA se préparaient en mode « Opération Tempête ». Le matin d’une tempête de neige, vous n’aviez qu’à ouvrir LCN et plus rien d’autre n’existait. Tous les reporters aux quatre coins du Québec affrontaient le vent et la poudrerie, les deux pieds dans la neige, à informer le public sur les impacts ainsi que les entraves de la circulation dans leur région.

Quand la tempête frappait fort, notre couverture était efficace. Quand la tempête déviait ou posait un lapin, nous avions l’air d’avoir exagéré la venue de la neige.

L’hiver, les médias anticipent souvent le pire avec des tempêtes hivernales. Le problème, c’est lorsque que la catastrophe annoncée et répétée ne se produit pas.

C’est exactement ce qui s’est produit en début de semaine avec la fermeture du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Bien sûr, avec un chantier d’une durée de 3 ans, les médias auront d’autres occasions de faire la démonstration du trafic montre, que ce soit en direction de Montréal ou en direction de la rive sud. On a qu’à penser à une panne dans le pont-tunnel, un accident ou même… une tempête de neige.

Ce que la couverture médiatique de la semaine nous apprend, c’est que les médias traitent parfois la nouvelle comme un chien gruge son os. Loin de moi l’idée d’être réducteur en comparant les journalistes à des animaux de compagnie, mais c’est l’image qui vient en tête.

Parce que les journalistes ne lâcheront pas le morceau avec le pont-tunnel. Les élus et le ministère des Transports n’ont qu’à bien se tenir. Les reporters attitrés garderont un œil en temps réel sur le tunnel. Les salles de nouvelles plongeront dans un mode d’extrême vigilance. Pourquoi tant d’attention?

Parce que le chantier du pont-tunnel touche plusieurs dizaines de milliers de personnes des deux côtés de la rive dans la plus grande ville du Québec. Ce qui touche le monde au quotidien intéresse les médias et garde les journalistes aux aguets. C’est leur job et c’est d’intérêt public. Si j’habitais Boucherville, je voudrais moi-même être informé en temps réel.

En grugeant leur « os journalistique », les médias répéteront leur couverture du trafic comme le jour de la marmotte. Les journalistes chercheront aussi à documenter tous les impacts liés à la fermeture d’une section du tunnel.

Pour ce faire, les questions suivantes se sont déjà posées dans les salles de nouvelles : Quel sera l’impact pour les travailleurs de la santé et des écoles? Est-ce que certains abandonneront leurs emplois pour éviter d’affronter le trafic? Quel sera l’effet domino sur l’industrie du camionnage et la libre circulation des marchandises? Les activités du Port de Montréal seront-elles affectées? Le centre-ville, qui se remet à peine de la pandémie, sera-t-il à nouveau déserté?

Les dirigeants des PME et des organisations devraient prendre des notes du traitement médiatique du pont-tunnel. Un enjeu médiatique majeur peut ne pas vous concerner directement au premier degré, mais ensuite impacter votre organisation et vos parties prenantes. Comme un centre de services scolaires qui perd des enseignants qui refusent de retourner dans le trafic. Comme une PME en expansion ralentie dans sa croissance à cause des délais de transport.

Pourriez-vous être impacté par ce que j’appelle « l’os journalistique? » Avez-vous bien anticipé les écueils et les angles morts? Êtes-vous vraiment prêt à répondre aux appels de journalistes?

 

David Couturier