Groupe d’intérêt : être respecté pour mieux influencer

Pendant les quatre ans de ma vie en politique, l’un de mes principaux défis au quotidien comme attaché de presse, c’était d’assurer une vigie médiatique des enjeux touchant le ministre, notre ministère et le gouvernement. J’étais en mode veille et alerte, même la fin de semaine.

L’attaché de presse au gouvernement gère les enjeux, l’image publique et la réputation du ministre. Le cabinet surveille l’actualité et les prises de position des différents lobbys, des citoyens et des entreprises concernant les enjeux publics et les politiques gouvernementales. C’est le rôle du cabinet du ministre d’informer au besoin le Cabinet du premier ministre de tout développement.

Précision d’emblée : plusieurs synonymes existent en affaires publiques pour identifier un lobby : un groupe d’intérêt, un groupe de pression, un partenaire, etc. L’objectif d’un groupe d’intérêt, qu’il ait une portée locale, régionale, provinciale ou nationale, demeure toujours le même : influencer les titulaires de charges publiques (les élus et les fonctionnaires) sur ses politiques et/ou convaincre de les soutenir financièrement.

Le problème, c’est que plusieurs hauts dirigeants ne s’y prennent pas toujours de la bonne manière pour mettre de la pression sur les décideurs lorsque vient le temps de faire atterrir un dossier en coulisses. Souvent mal conseillés par des relationnistes pressés, une sortie médiatique sera improvisée pour dénoncer (trop fort) le gouvernement et les demandes d’entrevues s’accumuleront soudainement. C’est une grave erreur. Ces hauts dirigeants perdront le contrôle de leur message sur la place publique et de leur positionnement vis-à-vis le cabinet alors que c’est tout le contraire qui devrait être recherché.

Pourtant, ces lobbys se défendront de leurs offensives médiatiques en martelant qu’ils souhaitent « se faire entendre du gouvernement ». Au cabinet ministériel concerné, les conseillers politiques se regarderont plutôt l’air surpris devant LCN et RDI en se demandant pourquoi ces groupes de pression se sont « garochés » si vite devant les kodaks au lieu d’être venus cogner à leur porte.

Ce que vous devez savoir avant de médiatiser votre dossier politique

Les affaires publiques et les relations gouvernementales sont intimement liées et requièrent du doigté et une approche stratégique. C’est la game. Point.

Le cheminement d’un dossier politique en coulisses est l’équivalent d’une partie d’échecs. On ne peut pas toujours tenter de faire « échec et mat » après trois coups. Mettre prématurément de la pression sur le gouvernement par l’entremise des médias, c’est un peu comme si vous utilisez votre reine aux échecs dès le deuxième coup pour gagner la partie. Cette approche est trop agressive. Les chances de succès sont bien minces pour le cheminement de votre dossier politique et surtout pour votre relation à moyen et long terme avec le gouvernement.

Mise en garde : « frapper » sur le gouvernement publiquement devrait être la dernière cartouche à utiliser, à moins que ce dernier ait déjà fermé la porte à votre demande ou que vous êtes à la barre d’une organisation d’une seule cause qui doit marteler ses revendications.

Combien de fois, comme attaché de presse, ai-je vu des groupes de pression multiplier les entrevues dans les médias pour mettre de la pression sur le ministre alors qu’un canal de communication ouvert et soutenu avec le conseiller politique au dossier aurait permis de mieux faire avancer leur cause.

  • Attention : je ne dis pas de ne jamais recourir aux médias pour faire parler de vos enjeux et de votre organisation. Je vous recommande de le faire de façon intelligente, pragmatique et stratégique. Par exemple, plus tôt cette année, j’ai eu comme mandat d’aider une organisation à « être dans le journal » le matin même que son haut dirigeant rencontrait le ministre de son secteur d’activité. L’article diffusé positionnait leurs enjeux et leurs demandes au gouvernement du Québec. En coordonnant cette sortie médiatique le jour de la rencontre au cabinet, nous nous sommes assurés que le ministre puisse en prendre connaissance dans sa revue de presse matinale, que le sujet soit frais à son esprit et qu’il soit attentif aux doléances de cette organisation.
  • Le ton adopté et le message véhiculé détermineront, que vous le vouliez ou non, le succès de votre opération de séduction avec le gouvernement. Une sortie médiatique ciblée, dans laquelle vous réitérez votre collaboration au gouvernement, sera mieux reçue au cabinet qu’une offensive médiatique dans laquelle vous avez le couteau entre les dents et que vous attaquez le ministre personnellement.
  • Soyez stratégique dans votre approche. Développez une approche gagnant-gagnant avec le ministre impliqué pour régler votre dossier, comme je l’expliquais dans vendre son enjeu politique comme on vend sa maison.

Mon proche collaborateur Steeve LeBlanc, stratège en relations gouvernementales et ex-directeur de cabinet, me racontait encore dernièrement ce qu’il répète souvent à ses clients : « Il y a deux piles de dossiers au cabinet : dans la première, la pile des groupes de pression. Dans la deuxième, la pile des collaborateurs. C’est en étant dans la deuxième pile que les dossiers politiques des groupes d’intérêts se règlent et pas dans la première. Crier et déchirer sa chemise, ça ne sert à rien. »

La perception de votre groupe d’intérêt au cabinet du ministre

Être stratégique, ça peut signifier être à la fois craint et respecté par le cabinet du ministre. Un groupe de pression qui ne fait que multiplier les manifestations et les coups d’éclat dans les médias finit par ne plus être écouté et pris au mot par le gouvernement, peu importe le nombre d’offensives médiatiques. Au cabinet, on sait qu’il y a du bruit, mais on ne l’entend plus…

« Bon, ils sont encore en train de japper dans les médias » est une phrase que des collègues me répétaient souvent à l’époque au cabinet, en parlant de certains groupes de pression qui venaient de faire une entrevue avec Paul Arcand ou Claude Poirier.

Le verbe « japper » m’a toujours fait sourire et reste révélateur. Une image simple et forte.

Êtes-vous le chihuahua dans la pièce qui jappe sans arrêt pour attirer l’attention avec du bruit de fond? Ou êtes-vous le berger allemand qui choisit le bon moment pour se faire entendre, inspirant le respect de par sa simple présence?

Personnellement, j’ai toujours préféré les bergers allemands.

David Couturier