Desjardins et le contrôle du message

La semaine dernière, Desjardins a créé une onde de choc en annonçant la fermeture de 30% de ses points de services au Québec. Au total, 190 centres de services et leurs guichets automatiques ne seront plus accessibles d’ici 3 ans. Pour annoncer cette mauvaise nouvelle sur la place publique, la coopérative a accordé une exclusivité au journal Le Soleil des Coops de l’information avant une tournée médiatique.

La nouvelle a frustré des aînés et des élus de certaines municipalités, particulièrement en région. Sans centre de service et sans guichet automatique, des personnes âgées, qui très souvent ne conduisent plus, devront se déplacer à plusieurs kilomètres pour compléter des transactions au comptoir ou pour utiliser un guichet automatique. Desjardins se défend que seulement 1% des transactions s’effectuent au comptoir, preuve que les nouvelles technologiques ont changé nos habitudes. Mais comment s’organiseront certains aînés?

Dans sa tournée médiatique, Desjardins a dépêché une porte-parole corporative, « première vice-présidente services aux particuliers », pour contextualiser les fermetures des 190 points de services. En entrevue, la porte-parole, même si elle était bien intentionnée, adoptait difficilement un ton empathique et le discours corporatif prenait vite le dessus pour justifier les fermetures. Dans une entrevue à la radio de Radio-Canada, l’animateur Alex Boissonneault lui a demandé comment les aînés devraient s’organiser. La réponse : « Nous allons les accompagner ». Sans préciser comment… « Débrouillez-vous », aurait pu répondre la porte-parole. Où était le président et chef de la direction Guy Cormier?

Cette nouvelle grogne se transformera-t-elle en gestion de crise pour Desjardins? Voici trois leçons de communication à retenir de l’annonce publique de Desjardins :

1) Contrôler le message avec une sortie médiatique en deux temps

En communication, contrôler le message est un réflexe indispensable, quel que soit l’enjeu à gérer ou la bonne nouvelle à annoncer. Si vous ne contrôlez pas votre message, votre organisation pourrait s’auto-créer une crise de toute pièce en raison de votre manque de clarté et de la façon dont vous diffusez l’information. C’est sur ce volet précis que Desjardins a bien joué ses cartes.

Si Desjardins avait simplement publié le 31 janvier dernier un communiqué de presse, tous les médias auraient simultanément repris la nouvelle, à la recherche le matin même de réactions. Desjardins aurait seulement contrôlé une partie de son message avec son communiqué de presse, mais pas la couverture médiatique générée.

En adoptant une stratégie médiatique en deux temps, Desjardins s’est habilement servi de l’exclusivité accordée au Soleil pour bien faire atterrir la nouvelle. L’article positionnait objectivement et sans émotion les fermetures annoncées, rappelant que cette opération faisait partie d’une « transformation du réseau ». En misant sur Le Soleil, Desjardins savait bien que l’article serait diffusé dans tous les journaux des Coops de l’information présents aux quatre coins du Québec.

Le jour de la diffusion de l’article, la porte-parole désignée était prête, très tôt le matin, à accorder des entrevues, avant que des contestataires ou des élus en colère se manifestent. Desjardins contrôlait ainsi son message et l’atterrissage de la nouvelle.

2) Faire preuve de leadership comme haut dirigeant

Annoncer une mauvaise nouvelle est une opportunité de faire valoir son leadership comme dirigeant. Chaque situation est unique, mais il vient un moment où les journalistes veulent voir le patron devant les caméras, pas le porte-parole. En gestion de crise, un haut dirigeant doit faire preuve d’adversité et affronter les questions des journalistes, qu’il le veuille ou non. Mais peut-on protéger le président et retarder ce douloureux moment?

En politique, mes patrons ministres comprenaient qu’ils devaient « prendre des balles » pour le Premier ministre dans les médias pour défendre des décisions gouvernementales. C’est le choix stratégique qu’a fait Desjardins en envoyant aux médias sa première vice-présidente, une figure dont je ne me souviens pas d’avoir vu dans les médias, une cadre qui manquait d’empathie et avec un langage rempli de phrases creuses.

Je repose ma question : Où était Guy Cormier? Se cachait-t-il? L’équipe des relations publiques l’avait-elle délibérément mis à l’écart? Il a fallu qu’un journaliste de TVA à Rimouski coure à un événement de Chambre de commerce pour le faire réagir. Cette stratégie peut être questionnable.

Pourquoi? Parce que le président du Mouvement Desjardins est une figure économique reconnue et a géré de main de maître la crise de la fuite des renseignements personnels en 2019. Guy Cormier nous a habitué à le voir prendre les devants face aux questions difficiles. Il est une personnalité publique appréciée et projette l’image d’un dirigeant qui se met dans la peau des gens, le vrai monde. La volonté de la direction de protéger son image comme président ne doit pas non plus lui nuire, d’autant plus que Guy Cormier a bâti sa notoriété sur le fait qu’il est hyper accessible.

Lors d’une annonce majeure comme celle de Desjardins qui a un impact sur le quotidien des gens, une entreprise doit faire preuve de leadership en envoyant devant les médias son plus haut dirigeant s’expliquer.

3) Faire preuve d’empathie pour les personnes touchées

Desjardins est une coopérative qui a fait pendant des décennies la fierté des québécois, bien implantée dans les municipalités de toutes les régions du Québec. Une relation de proximité s’est développée entre Desjardins et ses membres. Pourtant, avec l’annonce des fermetures, Desjardins s’est comporté dans ses communications comme une banque canadienne comme les autres avec des justifications logistiques et financières. Les explications sur « l’accompagnement » offert aux aînés restait flou. Encore aujourd’hui, rien n’a été dit pour rassurer les aînés concernés.

La haute direction cherchait à contrôler le message et à limiter les dommages de sa décision d’affaires. Le président Guy Cormier aurait assurément réussi dès la première communication, dans ses propres mots, à bien expliquer que Desjardins est désolé de la situation et comment son équipe s’assure de ne pas laisser à elles-mêmes les personnes âgées touchées. L’empathie, en autant qu’elle soit sincère, est nécessaire dans une crise médiatique ou l’annonce d’une mauvaise nouvelle sur la place publique.

Je suis moi-même membre chez Desjardins. Je ne remets pas en question leur expertise, mais leur stratégie de communication qui manquait de sensibilité à l’égard des personnes qui sont touchées. La mobilisation contre les fermetures, si elle prend de l’ampleur, pourrait être marginale et uniquement dans certaines municipalités. Cependant, ne l’oubliez pas : partout où il y a de la grogne, il y a des journalistes prêts à la couvrir. Raison de plus pour bien préparer vos communications en conséquence.

Pour lire l’article du Soleil dont il est question dans ce billet :

https://www.lesoleil.com/affaires/2024/01/31/desjardins-fermera-187-centres-de-services-dici-trois-ans-SI3MFUIMZJEFLMW5WC6DBB22FE/

 

David Couturier