Le traitement choc et le changement de narratif
Capture d’écran / Site web de l’Assemblée nationale du Québec.
Comme une dernière main au poker, le premier ministre François Legault joue ses dernières cartes avec un « all in » pour se faire réélire en octobre 2026. Après le striptease médiatique du remaniement ministériel, le premier ministre veut maintenant redéfinir son gouvernement avec un changement de narratif. La CAQ veut retrouver son ADN, au moment même où elle connaît un creux historique dans l’électorat avec 11% des intentions de vote selon le dernier sondage de L’Actualité.
Les mots « traitement choc » donnent le ton sur l’ambition du premier ministre de couper dans la bureaucratie, d’améliorer l’efficacité de l’État et de moderniser le régime syndical au Québec. Comme la piscine avec l’eau verdâtre infestée d’algues au printemps qu’on tente de clarifier le plus vite possible! La CAQ y arrive-t-elle en si peu de temps? La prochaine année nous le dira. Stratégiquement, le gouvernement Legault tente de reconnecter avec ses électeurs caquistes avec un changement de narratif et une nouvelle posture politique. Comme un grand magasin de luxe inaccessible à la classe moyenne qui redéfinit soudainement son image avec des prix chocs parce que les clients ont déserté le magasin…
Ce changement de narratif politique aura des conséquences pour les groupes de pression qui tentent sans relâche de se faire entendre auprès des ministres du gouvernement Legault. Et l’exercice, disons-le franchement, sera à géométrie variable selon si « votre » ministre reste en poste ou si vous devez reprendre votre bâton de pèlerin pour vous faire connaître d’un nouveau ou d’une nouvelle ministre. « Ouf ! », m’écrivait un client après le remaniement, sachant que « son » ministre restait en place.
Voici 3 gestes clés à poser pour bien positionner vos dossiers politiques durant la dernière année de mandat de la CAQ :
1) Adaptez votre argumentaire au nouveau narratif du gouvernement
Vous devez être sensible à l’environnement politique actuel et aux messages que le premier ministre envoie aux électeurs. Avec son remaniement, le premier ministre tente de vendre un ménage dans les finances publiques et dans la bureaucratie. Vos arguments pour soutenir vos demandes d’aide financières devront être teintées en conséquence. Par exemple, un organisme communautaire ne pourra plus se contenter de crier au sous-financement de ses activités dans des discussions avec un cabinet et jouer les vierges offensées dans les médias pour se faire entendre.
Vos enjeux, qu’ils soient d’ordre financiers, opérationnels, législatifs ou réglementaires, devront être jugés utiles et priorisés par le cabinet ministériel avec lequel votre organisation est en contact. Bref, est-ce que le règlement de votre dossier peut aider à la réélection de la CAQ… ou lui nuire? Adaptez vos arguments avec le nouveau narratif gouvernemental et faites la démonstration que vos demandes doivent être priorisées.
2) Misez sur des visages plutôt que des chiffres
L’été dernier, le ministre sortant de l’Éducation, Bernard Drainville, a subi la colère des syndicats et du réseau de l’éducation avec les compressions budgétaires imposées aux centres de services scolaires. Flairant la nouvelle, les médias ont documenté les impacts des coupures dans les écoles, nous faisant prendre conscience collectivement des conséquences pour les élèves du primaire et du secondaire, particulièrement pour ceux et celles avec des besoins particuliers. Les congédiements d’enseignants et d’orthopédagogues ont mis un visage sur les compressions. Encore la semaine dernière, le 98.5 rapportait la triste histoire d’un enfant autiste de 7 ans qui a perdu tous ses services à son école. Une histoire que les oppositions se seraient vite emparées lors d’une journée de période de questions!
Les médias cherchent des bonnes histoires à raconter. Les cas humains et authentiques peuvent avoir un impact déterminant pour positionner vos enjeux auprès de vos interlocuteurs politiques. Parce que la politique, c’est d’abord une aventure humaine. Mettez des visages à l’avant-plan pour vulgariser vos enjeux et pour soutenir vos demandes. Et cherchez à le faire le plus humainement possible. Parce que les ministres, que vous les aimiez ou non, sont d’abord et avant tout des êtres humains. Et c’est souvent un cas humain qui les fera réagir.
3) Servez-vous des médias pour mettre une saine pression
Soyez prévenus : les cabinets ministériels sont très sensibles à la couverture médiatique lorsque leurs « dossiers » font la manchette, particulièrement pendant les sessions parlementaires. Selon l’évolution de vos démarches avec le cabinet ministériel, des sorties médiatiques ciblées et stratégiques peuvent être nécessaires pour faire avancer votre dossier et pour mettre une saine pression sur le gouvernement.
Vous n’aurez pas toujours besoin d’une tournée médiatique mur à mur pour marquer les esprits. Un article ou un reportage bien documenté, même en région, peut rebondir à la période de questions à l’Assemblée nationale et forcer le ministre responsable du dossier à se commettre sur la place publique. Malheureusement, si vous n’existez pas à un moment ou l’autre dans les médias, vous n’êtes pas dans les priorités pour les conseillers politiques qui filtrent les urgences. Un dossier médiatisé retient l’attention du cabinet et peut subitement, selon sa nature, être priorisé… parfois le jour même! Existez-vous dans la revue de presse gouvernementale?
À un an des élections, vous n’avez pas le luxe d’ignorer les oppositions sous prétexte que vous ne voulez « pas nuire à vos bonnes relations avec le gouvernement ». Faites-vous connaître des porte-paroles péquistes, libéraux et solidaires dans votre dossier avant la campagne électorale avec comme objectif de les forcer à se commettre sur vos enjeux et pour contaminer les engagements électoraux des partis.
Pour maximiser vos communications d’influence, adoptez une veille médiatique rigoureuse de l’actualité et une veille gouvernementale des enjeux qui touche votre secteur d’activité. Soyez bien accompagné pour préparer vos sorties médiatiques et vos démarches politiques. Et surtout, restez alerte!
Utilisez à votre tour un traitement choc pour vendre vos enjeux et imposez votre narratif avant qu’il ne soit trop tard.
David Couturier
*Ce texte a été écrit avec la collaboration de Steeve LeBlanc de Pragma Stratégies, ancien directeur de cabinet et stratège en relations gouvernementales.