La leçon masquée de relations publiques dans La Casa de Papel

Mea culpa. C’est avec beaucoup de retard que j’ai découvert la série La Casa de Papel sur Netflix cet été. L’intrigue idéale pour décrocher avec Madrid en toile de fond, à défaut de pouvoir voyager. Déformation professionnelle oblige, je cherche constamment des parallèles avec mon champ d’activité. (J’ai déjà comparé le combat de karaté aux relations publiques ici). La Casa de Papel cache une leçon de relations publiques d’une grande valeur sur la gestion d’enjeux publics.

La Casa de Papel raconte l’histoire fictive du plus grand braquage de tous les temps, celui de la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre en Espagne (Royal Mint) où les malfaiteurs ont comme plan non pas de dérober, mais plutôt d’imprimer 2,4 milliards d’euros avant de s’enfuir. Avant le jeu du chat et de la souris avec la police, Le Professeur, le chef de la meute et l’architecte du braquage, explique à son équipe de braqueurs sa recette magique, SA stratégie, pour réussir le coup fumant et s’enfuir avec des milliards d’euros sans se faire attraper par la police.

La stratégie clé du Professeur : gagner du temps.

La Casa de Papel est une œuvre de fiction, mais cette stratégie peut s’appliquer pour n’importe quel enjeu de relations publiques à gérer, particulièrement avec les médias. Et surtout lorsque ça va mal et que votre organisation est plongée en gestion de crise. Pas pour un braquage de banque! Pour gérer la pression des médias.

Pourquoi et comment gagner du temps en relations publiques? Voici trois avantages :

1) Gagner du temps pour éviter la précipitation

La précipitation est un piège si vous faites affaires avec les médias. Lors d’une gestion de crise, certaines organisations et entreprises prennent beaucoup trop de temps à réagir avec les médias et le feront très souvent trop tard sous la pression publique. À chaque année, nous sommes témoins de grandes entreprises ou d’organisations qui réagissent tardivement lors d’une gestion de crise. À l’inverse, d’autres organisations sont parfois trop rapides, trop promptes et sabotent leur propre sortie sur la place publique en raison de leur précipitation.

C’est la job du porte-parole de la police de se rendre disponible aux aurores pour commenter un fait divers en direct à RDI, mais vous n’avez pas cette obligation comme haut dirigeant avec votre propre enjeu. Les journalistes me lanceront des tomates, mais vous pouvez prendre du temps, un pas de recul et rien ne vous oblige à accepter la première entrevue matinale ou « requête » journalistique. C’est une décision stratégique comme n’importe quelle autre décision dans votre mandat de haut dirigeant.

  • Si vous dirigez un syndicat ou une organisation de membres, vous connaissez assurément l’importance du timing pour réagir sur la place publique. Concrètement, ce n’est pas parce qu’un journaliste sollicite une réaction de votre organisation que vous devez obligatoirement commenter. (À moins bien sûr d’être à la tête d’un ministère, d’une société d’État ou d’un organisme public-paragouvernemental.)
  • Gagner du temps, ça fait partie de vos options. Gagner du temps fait partie de la gestion de votre agenda. En gagnant du temps avec les médias, vous faites un choix stratégique, celui de bien vous positionner. D’abord pour décider si vous devez réagir ou non dans l’immédiat et ensuite pour déterminer comment bien le faire si vous allez de l’avant.
  • Pouvez-vous gagner du temps? Une organisation trop pressée de commenter dans les médias peut s’auto-créer une crise interne à gérer. Un effet boomerang dans lequel votre bonne intention se retourne malheureusement contre vous. Vos membres vous accusent subitement d’avoir réagi trop vite et d’avoir véhiculer les mauvais messages! Vous étiez plein de bonnes intentions pour alimenter votre relation avec une journaliste et pourtant, ceux que vous représentez vous accusent d’avoir manqué de tact et de jugement. Que vous ayez réussi ou non l’entrevue, vos membres vous accusent d’avoir gaffé tout court… Damage control à l’interne en perspective.

Vous devez comprendre comment les journalistes travaillent. À l’époque, dans chaque ville où j’ai exercé le métier de journaliste, j’avais développé un réseau de contacts de dirigeants de plusieurs milieux qui étaient disponibles à réagir rapidement si je les contactais pour mon reportage du jour. Si j’appelais un intervenant à 10h15 le matin et qu’il acceptait de me rencontrer une heure plus tard pour une entrevue, cette personne facilitait mon travail de journaliste. Parce que je pouvais être en ondes dès le midi. Parce que j’avais du contenu à diffuser, une réaction. Était-ce toujours dans l’intérêt d’un intervenant d’être si rapide et disponible? J’ai été témoin d’un tas de situations où des dirigeants ont regretté de ne pas m’avoir simplement répondu « On ne fera pas de commentaires ».

Les médias cherchent à nourrir la bête. Les journalistes doivent créer et rapporter la nouvelle. Votre job à vous, c’est de vous demander devant l’insistance d’un journaliste si vous devez absolument commenter et surtout si vous devez commenter maintenant. Pensez d’abord à l’agenda de votre organisation, pas à celui du journaliste qui vous appelle (avec la pression de ses patrons au-dessus de son épaule).

2) Gagner du temps pour bien adapter et améliorer votre réaction officielle

Pour un haut dirigeant, il est judicieux de gagner du temps avec les médias pour mieux adapter la réaction officielle de votre organisation. Pratico-pratique, si vous commentez à 9h30 le matin sur la place publique, vous ne pourrez pas revenir au micro en fin d’après-midi pour changer votre réaction, l’adapter ou l’assaisonner si vous me permettez l’image. Vous devez vivre avec vos propos.

Soyons clair : je ne suis pas en train de vous convaincre de procrastiner jusqu’en début de soirée pour décider si vous retournez l’appel ou non d’un journaliste. Ou même d’attendre volontairement au lendemain pour rédiger un communiqué de presse lorsque la nouvelle n’existe plus. Cependant, il existe toujours un danger lorsque l’on est le premier à commenter.

  • En prenant un pas de recul, l’objectif, c’est que vous soyez bien outillé pour réagir. En gagnant du temps, vous aurez en main davantage d’informations pour vous faire une tête, ce qui vous permettra de mieux réagir. D’autres intervenants se seront positionnés avant vous, donc vous pourrez adapter votre réaction.
  • Si un journaliste vous place en contradiction avec vos faits, vous serez mieux préparé pour vous défendre. Lorsque ce même journaliste vous confrontera aux idées d’une organisation concurrente ou de votre interlocuteur dans le dossier, vous aurez développé un meilleur argumentaire pour répondre et pour vous positionner publiquement. Ceci dit, une veille médiatique soutenue est nécessaire : vous devez savoir ce que les autres ont dit et comment est traitée la nouvelle.

3) Gagner du temps pour contrôler le message en gestion de crise ou d’enjeux

Contrôler le message est un véritable défi si votre organisation gère un enjeu sur la place publique. Quel que soit votre enjeu, vous voulez martelez le même message.

Votre organisation doit parler d’une seule voix, choisir le bon moment pour réagir et surtout convaincre les médias avec un argumentaire fort. En réagissant trop rapidement à une situation donnée avec un premier journaliste trop tôt, vous pourriez vous retrouver coincé au cœur d’un effet domino où chaque média vous mettra de la pression pour commenter.

  • Au lieu de commenter une seule fois votre enjeu ou votre crise sur la place publique (par exemple avec un communiqué de presse en guise de réaction officielle), vous vous retrouvés pris au piège dans une spirale d’entrevues médiatiques. Parce que vous n’aurez pas choisi de gagner du temps, vous êtes prisonniers de déclarations contradictoires.
  • Les journalistes que vous avez déjà rencontrés vous recontactent pour des demandes de précisions, refaire l’entrevue, expliquez-vous-on-ne-comprend-pas-votre-nouvelle-position-depuis-l’entrevue-de-ce-matin, etc. Vous me voyez venir? Un véritable cauchemar pour n’importe quel dirigeant dans ses relations médias. Au final, votre message, votre réaction publique, sort « tout croche » comme on dit en bon québécois. Pourquoi? Parce que vous n’avez pas pris le temps. Parce que vous n’avez pas cherché à gagner du temps, une option qui était pourtant sur la table.

Gagner du temps, ça ne signifie pas d’ignorer les médias et de ne pas collaborer. Ça signifie prendre les moyens pour réagir adéquatement et au bon moment. N’hésitez pas à vous faire accompagner et conseiller afin d’identifier les angles morts dans pareil tourbillon médiatique.

Il en va de la réputation de votre organisation, et ne l’oubliez jamais, de votre propre réputation professionnelle comme haut dirigeant. Une leçon masquée dans La Casa de Papel.

 

David Couturier