Les médias et le syndrome « The Watcher »
Les médias peuvent parfois être atteints de ce que j’appellerais le syndrome « The Watcher ». Avez-vous vu cette série addictive sur Netflix?
Inspiré d’une histoire vraie, « The Watcher » raconte l’histoire d’une famille new-yorkaise qui déménage dans une rue paisible du New Jersey pour y trouver une quiétude loin de la grande ville. Très rapidement, la vie rêvée vire au cauchemar lorsque la famille reçoit des lettres menaçantes par la poste signée « The Watcher » en plus d’être victime d’intimidation. La série nous plonge dans un suspense intense où l’on se pose la même question : qui est « The Watcher »?
Sans que les journalistes s’en rendent compte (et bien évidemment sans la violence psychologique qui teinte la série), ils se servent souvent de la même recette que Netflix pour nourrir la nouvelle. C’est-à-dire en carburant et en alimentant le suspense. Pour garder l’auditoire intéressé et captif. Au-delà du storytelling.
C’est exactement ce qui s’est produit cette semaine avec la démission de la cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade. Dès l’annonce de sa conférence de presse, les médias ont couvert la nouvelle comme on accourt au buffet.
Il fallait s’y attendre : les médias se sont empressés de spéculer sur l’identité du prochain chef du PLQ. Toute la semaine, la couverture médiatique était axée sur les spéculations et les rumeurs. À l’émission de Mario Dumont à LCN, il fallait voir à l’écran la mosaïque de visages des prétendants à la chefferie (en couleur, les candidats potentiels et en noir, ceux ayant décliné) pour comprendre à quel point les médias peuvent s’emballer avec une nouvelle.
Comment maintenir le « suspense » entourant un événement de l’actualité? Comment garder l’auditoire captivé par la nouvelle? Comment décortiquer un événement sous tous les angles? Ces questions, ce sont des réflexes intuitifs des journalistes qui teintent leur couverture médiatique. Les journalistes ne se lèvent pas le matin en se demandant comment ils peuvent créer du suspense avec la nouvelle, mais l’effet de meute amplifie ce phénomène.
Depuis plusieurs années, on assiste aussi à une toute nouvelle dynamique médiatique : l’opinion et les analyses prennent plus de place qu’auparavant. C’est vrai à la télé, à la radio, dans les journaux et sur le web. Cet environnement médiatique, où les faits, l’analyse et l’opinion se mélangent, alimente en temps réel le jeu des spéculations et la machine à rumeurs lorsqu’un événement majeur se produit. Ce qui était une nouvelle comme une autre peut devenir aussi intéressante à suivre qu’un bon suspense sur Netflix!
J’ai personnellement subi comme attaché de presse en politique le syndrome « The Watcher » : les journalistes s’intéressent davantage à l’intrigue en suspens qu’à la fin de l’histoire. Par exemple, les ministres sont interpellés dans des mêlées de presse sur des enjeux auxquels ils doivent répondre pour le bien commun. Lorsque ces mêmes ministres passent à l’action avec l’octroi d’aides financières, l’adoption de règlements ou le dépôt de projets de loi, les journalistes désertent soudainement les annonces officielles… Parce que ce qui était un problème n’en est plus un. La bonne nouvelle est éphémère.
Le syndrome « The Watcher », c’est l’importance accordée par les médias à créer un narratif captivant à suivre pour le public. Une nouvelle addictive qu’on veut suivre en temps réel. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est aussi une occasion à saisir pour n’importe quelle organisation en quête de visibilité médiatique et qui souhaite s’inscrire dans la nouvelle.
Parce que les médias cherchent à mettre en lumière les problèmes de notre société. Parce que les journalistes aiment identifier et couvrir des enjeux d’intérêt public qui touchent le vrai monde. Parce que les médias raffolent des problématiques qui bousculent les élus et les forcent à réagir.
Trop souvent, plusieurs organisations attendent délibérément d’avoir entre les mains les conditions gagnantes pour organiser des opérations médiatiques percutantes. Avec leurs sorties publiques, les dirigeants devraient plutôt chercher à devenir aussi imprévisibles qu’une série addictive qui nous empêche de dormir.
David Couturier