Quand des arbres deviennent la source d’une gestion de crise

Un vrai massacre.

Ce fut ma réaction lorsque j’ai vu l’ampleur de la coupe d’arbres dans le boisé de l’Église Saint-Louis-de-France à Québec. Le site accueillera une Maison des aînés en 2022 et les émondeurs ont dû raser le boisé pour permettre la construction du bâtiment.

D’emblée, je suis en conflit d’intérêt : j’habite ce quartier depuis près d’un an. Ce boisé se trouve à environ 10 minutes de marche de chez moi et fait partie de mon décor lorsque je conduis mes garçons à l’école. Avec l’école des enfants en Google Meet à la maison, je ne m’étais pas déplacé dans ce secteur depuis un bon moment. L’école de mon plus vieux est voisine de l’église. Auparavant, à l’arrière, les arbres gigantesques cachaient l’église en formant un boisé. Avec les arbres abattus, l’église domine le paysage lorsque vous empruntez la rue en direction de l’école.  L’impact visuel est drastique. Même si le projet est évidemment louable pour nos aînés, le spectacle sur place est désolant. Et la grogne dans le quartier est palpable. Une visite au parc et des tracts vous invite à interpeller les députés et les autorités.

Pour comprendre la grogne dans le quartier, il faut revenir en arrière. En juin 2020, le gouvernement du Québec a annoncé que l’église Saint-Louis-de-France à Sainte-Foy allait être transformée en une Maison des aînés, la première de la région de Québec. La paroisse cherchait à se départir de son église depuis longtemps. Le projet comprend 96 places pour aînés dont 12 pour des besoins spécifiques. Lors de l’annonce, les élus ont précisé que l’église serait démolie et que la structure ne serait pas conservée dans le projet.

À la fin de l’hiver, la Société québécoise des infrastructures (SQI), qui est responsable du chantier, a démarré les travaux. La machinerie a fait son apparition sur le site. Le stationnement, une séparation naturelle entre l’école et l’église, a été fermé avec l’installation de clôtures de chantier imposantes. À la mi-avril, des citoyens ont été pris par surprise avec des bruits de scies à chaîne…

Les émondeurs ont abattu environ 70 arbres sur le terrain de l’église. Plusieurs arbres matures ont été coupés. Dans les jours qui ont suivi, des parents et leurs enfants du quartier ont manifesté devant le chantier un samedi matin pour « sauver les arbres ». Leur but : mettre fin à l’abattage. Difficile de rester indifférent aux dessins des enfants qui avaient été accrochés aux clôtures et aux arbres, leur cri du cœur.

L’enjeu, ce n’est pas nécessairement en soi que des arbres aient été abattus. Le problème, c’est que les autorités n’ont pas informé le voisinage AVANT de les abattre. Les résidants du secteur ne savaient pas que l’acquisition de l’église engendrerait la coupe de dizaines d’arbres matures près de leur parc. Voilà ce qui se produit lorsqu’il y a une absence de planification pour les communications. Une réflexion en amont aurait permis d’identifier des moyens concrets pour informer les citoyens concernés. Et surtout, d’aller au-devant de la grogne.

Conséquence : des opposants ont alerté des médias de Québec pour dénoncer la situation, forçant la SQI et le CIUSSS de la Capitale-Nationale à s’expliquer sur la place publique et à ouvrir un dialogue avec les citoyens mécontents. Le conseil de quartier a dénoncé « le manque de transparence » de la Société québécoise des infrastructures qui gère le projet. Les citoyens frustrés réclamaient qu’on mette les travaux sur pause et sur le champ. Tout ça parce que les autorités n’ont pas pris la peine de communiquer adéquatement avec le voisinage.

Capture d’écran, Le Soleil, 15 avril 2021

À Radio-Canada, une porte-parole du CIUSSS assurait que plus d’une centaine d’arbres allaient être replantés pour compenser la perte de végétation, argumentant que la coupe des arbres était inévitable. « Plusieurs arbres étaient malades ou infectés avec des parasites », se défendait la porte-parole en citant l’expertise d’un ingénieur forestier, tout en promettant la plantation de « plus de 104 arbres et 738 arbustes ».

Signe que les gestionnaires du projet sentaient la soupe chaude et que la pression citoyenne s’accentuait, une séance d’information a été organisée sur ZOOM quelques jours après la manifestation pour expliquer la nature des travaux. C’était le bon geste à poser, mais ça aurait été beaucoup plus pertinent de le faire AVANT et non APRÈS le mécontentement.

Suite à cette rencontre d’information, la SQI a annoncé qu’elle suspendait l’abattage des arbres jusqu’à nouvel ordre. « Il a également été convenu d’analyser la possibilité de déplacer et/ou de traiter certains arbres malades, et ce, malgré les risques inhérents », affirmait le porte-parole de la SQI le 23 avril dernier dans le journal Le Soleil. La SQI s’engageait également à mieux informer les citoyens pour les prochaines étapes du projet de construction. Un engagement qui aurait dû être pris avant l’opération d’émondage.

Cet épisode illustre bien à quel point l’acceptabilité sociale est devenue un critère indispensable pour bien faire atterrir des projets immobiliers dans la collectivité. La plupart du temps, ce sont des promoteurs privés qui doivent informer les citoyens de leurs projets et des impacts potentiels. Dans ce cas-ci, le maître d’œuvre du projet, c’est le gouvernement lui-même par l’entremise de la Société québécoise des infrastructures.

Cette gestion de crise par les autorités gouvernementales aurait pu être évitée avec une bonne planification des enjeux. Voici quelques leçons de communication à retenir :

1) Informez avant et faites preuve de transparence

C’est avec le bruit des scies à chaîne que des résidants du quartier ont découvert que des arbres matures étaient abattus. Personne n’était venu les informer des travaux d’abattage qui seraient effectués sur le terrain de l’église. Aucun pamphlet n’avait été distribué. Aucune séance d’information n’avait été organisée pour expliquer le projet et la nature de l’ensemble des travaux. Rien. Les gestionnaires du projet se fiaient-ils sur l’aura positif du concept de Maison des aînés pour aller de l’avant sans trop se soucier du voisinage?

Lorsqu’un promoteur immobilier souhaite favoriser l’acceptation sociale de ses projets, il doit informer les citoyens avant et non pendant les travaux. C’est une règle de base. C’est le minimum. On peut juger un promoteur sur les moyens de communication et les tactiques utilisées pour faire connaître son projet. Vous pouvez le critiquer de mener « une opération de relations publiques pour redorer son image », mais vous ne pouvez pas accuser le responsable du chantier de vouloir dialoguer.

Tout doit commencer par une intention, celle d’être transparent et d’informer. Personne ne peut accuser un promoteur immobilier de mauvaise foi s’il informe le voisinage en amont de la nature de ses travaux et de son projet.

Au Québec, plusieurs séances d’information publiques pour des projets immobiliers sont organisées chaque année de concert avec les municipalités puisque des changements de zonage sont souvent nécessaires. Cette façon de faire permet aussi d’informer les élus du bien-fondé des projets domiciliaires et commerciaux. Bref, tous les acteurs impliqués prennent connaissance de la documentation en même temps : le maire, les conseillers municipaux, les résidants, les opposants et les médias locaux. Il n’y a pas de cachette et le promoteur doit vendre son projet. Et souvent, vendre son projet, ça signifie préciser de quelle façon les travaux minimisent l’impact sur l’environnement et/ou la qualité de vie des résidants.

Par contre, dans ce cas précis, la Société québécoise des infrastructures profite d’une voie rapide grâce à la Loi visant l’accélération de certains projets d’infrastructures, loi adoptée dans la foulée de la pandémie pour stimuler la relance de l’économie. Une séance d’information avant l’abattage des arbres aurait pourtant été souhaitable pour anticiper la grogne dans le quartier et pour gérer les objections des résidants. Même sur ZOOM, l’exercice aurait été pertinent. À preuve, c’est le moyen qu’ils ont utilisé par la suite.

2) Faire preuve d’empathie et de sensibilité

Il ne fallait pas une boule de cristal pour deviner que l’abattage des arbres de l’église de Saint-Louis-de-France allait susciter la colère des résidants du quartier. Pourquoi? Parce que le terrain est situé près de l’école et du parc qui porte le même nom. Pour plusieurs familles, ces arbres sont en quelque sorte un prolongement du parc et de l’environnement. On peut aussi comprendre l’attachement émotionnel pour les voisins de l’église.

Est-ce qu’on doit pour autant cesser tout projet de développement immobilier? Bien sûr que non. Mais si vous êtes un promoteur et que vous souhaitez faire accepter votre projet, vous devez faire preuve d’empathie et de sensibilité. Mettez-vous à la place des citoyens qui seront touchés par ces changements. L’émotion est souvent omniprésente lorsque vous subissez l’impact visuel ou sonore d’un projet dans votre quotidien. Être capable de saisir les enjeux, ça fait partie de la sensibilité qu’un promoteur doit faire preuve avec l’acceptabilité sociale de son projet. Une réflexion stratégique, avant le début des travaux, permet de se prémunir devant toute éventualité et d’anticiper les signes de mécontentement.

Comme promoteur, posez-vous beaucoup de questions. Comment je réagirais si j’étais à leur place? Quelle serait ma réaction si je vivais dans ce quartier? Un propriétaire voisin risque-t-il de causer du tort à l’image de mon projet? Un groupe écologiste pourrait-il s’en mêler? À qui doit-on parler dans la communauté pour faire la pédagogie du projet? Qui sont les élus que je dois sensibiliser? Est-ce que des médias traiteront la nouvelle? Est-ce que des journalistes vivent dans le quartier?

Si vous ne vous sentez pas prêt à identifier les questions à élucider, demandez de l’aide de professionnels. En vous posant les bonnes questions, vous serez en mesure de mieux cibler les angles morts de votre projet et les questions auxquelles vous devrez répondre pour favoriser l’acceptabilité sociale. De plus, en préparant une veille stratégique en amont, vous serez à même d’identifier des groupes citoyens susceptibles de faire pression et de vous préparer en conséquence. La responsabilité d’anticiper les écueils, elle vous appartient.

3) Clarifiez et identifiez le porte-parole du projet

Qui est le responsable du projet immobilier? Qui parle aux opposants? Qui informe les médias? Ce sont des questions que tout promoteur doit se poser avant de faire cheminer son projet et souhaiter le faire accepter socialement sur la place publique.

Le cas qui nous occupe a suscité de la confusion. La Société québécoise des infrastructures est mandatée par le CIUSSS de la Capitale-Nationale pour bâtir cette Maison des aînés. La SQI s’occupe de la construction, le CIUSSS sera responsable de la gestion de l’établissement. Les deux organisations étaient visées par les opposants. Les deux organisations ont commenté dans les médias, alimentant la confusion.

Pourquoi deux porte-paroles plutôt qu’un? Et pourquoi pas le même? Le minimum aurait été d’identifier dès le début des travaux le porteur du ballon autant pour les citoyens que pour les médias. Et si deux porte-paroles, qui parle pour quoi? Il faut départager les responsabilités de chacun et identifier les bons porte-paroles pour les enjeux soulevés. Il faut éviter la confusion. Dans ce cas-ci, pourquoi le CIUSS se justifiait sur les travaux d’émondage alors que la SQI est responsable du projet?

En définissant le porte-parole sur la place publique, un promoteur immobilier améliore le positionnement de son projet :

  • Il contrôle l’information qui doit être divulguée, ce qui clarifie les messages véhiculés pour promouvoir son projet.
  • Il réduit ainsi les risques de se contredire auprès des différents publics cibles.
  • Il élimine toute communication contreproductive dans laquelle il devrait rectifier le tir.

Le droit de rectifier les faits

En terminant, une précision majeure s’impose. L’acceptabilité sociale des projets immobiliers ne signifie pas pour autant que les promoteurs doivent se soumettre aveuglément à toute demande de groupes citoyens ou de mouvements écologistes. Les promoteurs immobiliers ont tout intérêt à informer les citoyens et à collaborer en amont. Cela dit, lorsque son projet immobilier devient une cible sur la place publique, le promoteur est en droit de répliquer et de faire valoir les bienfaits de son projet. Le terrain lui appartient. Par exemple, si des opposants véhiculent de la fausse information dans les médias ou sur les réseaux sociaux, le promoteur doit rectifier les faits. C’est non négociable.

La commotion avec les arbres dans le quartier Saint-Louis-de-France rappelle que la réussite d’un projet immobilier passe d’abord par son acceptabilité sociale. Pour y parvenir, vous devrez comme promoteur immobilier anticiper les pièges potentiels qui guettent l’image et la réputation de votre projet sur la place publique.

N’hésitez pas à demander de l’aide pour retourner toutes les pierres avant que la grogne ne menace la viabilité de votre projet et ne se transforme en véritable gestion de crise. Que vous le vouliez ou non, une réflexion stratégique en amont et une opération stratégique de communication seront nécessaires pour mener votre projet à terme sur la place publique. Un travail tout aussi important que de couler les fondations.

 

David Couturier

 

Articles de presse pertinents sur le sujet :
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1785123/coupe-arbres-eglise-saint-louis-france-quebec-maison-aines
https://www.lesoleil.com/actualite/la-capitale/suspension-de-labattage-des-arbres-a-leglise-saint-louis-de-france–0a4f61c689f8920f602ecfb8e4483236