Mentir ou comment « scraper » votre réputation

C’était il y a plusieurs mois. J’ai été témoin d’un entrepreneur qui justifiait publiquement sur les réseaux sociaux la fermeture de son entreprise parce qu’il avait « accepté de relever de nouveaux défis » avec un nouveau poste qu’il ne pouvait refuser.

Cette annonce « officielle » sentait le mensonge à plein nez : plusieurs rumeurs circulaient déjà au sujet des activités de l’entreprise et des difficultés financières de son propriétaire. Deux contacts d’affaires m’en avaient parlé et m’avaient confié que le texte annonçant la fermeture de l’entreprise, c’était de la « bullshit » pour reprendre l’expression de l’un de mes interlocuteurs au bout du fil.

L’entrepreneur dont il est question, et dont nous tairons évidemment l’identité, s’était effectivement trouvé un emploi. Le problème, c’est qu’il avait choisi de maquiller la réalité en annonçant souhaiter « relever de nouveaux défis » alors qu’il s’apprêtait à frapper un mur avec la faillite de son entreprise.

L’entreprise ne fermait pas ses portes parce que le propriétaire voulait une nouvelle job. Elle fermait parce qu’elle était en difficultés financières. Bref, un mensonge pour justifier la fermeture de l’entreprise et ses déboires financiers. Et on le devine, laisser du même coup en pan des clients insatisfaits et un paquet de fournisseurs enragés. À lire sur le sujet, mon billet sur les fermetures d’entreprises ici et les bons gestes à poser.

Le hic ici, c’est que ce mensonge, apparemment inoffensif, a fait beaucoup de bruit dans le réseau de l’un de mes contacts d’affaires, un homme d’affaires très réseauté, écorchant la réputation de cet entrepreneur redevenu salarié.

Vous, est-ce qu’on vous ment?

Rappel : la gestion de la réputation, ce n’est pas juste devant les kodaks

Lorsque je soupçonne un chef d’entreprise ou un haut dirigeant de mentir délibérément, que ce soit sur LinkedIn ou en pleine télé, je me pose toujours la même question : mais pourquoi? Pourquoi agir de la sorte alors que mentir a un impact direct sur sa réputation?

Dans un autre billet, celui-là publié en 2018, je rappelais que la gestion de la réputation, ce n’est pas juste devant les kodaks. Les gestes que tout haut dirigeant pose, qu’il soit à la tête d’une PME ou d’un organisme sans but lucratif au coin de la rue, peuvent avoir un impact sur sa réputation.

Et lorsqu’on utilise le mot « réputation », on parle du long terme. Qui dit réputation, dit votre image publique. Et j’inclus votre réseau professionnel sur LinkedIn dans l’équation. Pas besoin d’avoir une caméra de TVA à l’entrée de la shop pour devoir gérer des enjeux de réputation.

Choisir de mentir, est-ce vraiment la façon de faire? Est-ce la façon de se comporter? Est-ce justifiable si le chef d’entreprise traverse une période sombre sur le plan personnel comme un divorce? Est-ce justifiable si un syndic de faillite se met de la partie et que l’entreprise ferme en raison de ses troubles financiers? En réponse à toutes ces questions : non.

Premièrement, le problème avec l’exemple que je vous ai partagé, c’est que l’entrepreneur a pensé à court terme en se demandant comment il devait faire atterrir sa mauvaise nouvelle et se sortir de sa fâcheuse position sans trop devoir se justifier. Bref, comment se sortir du pétrin maintenant en pelletant par en avant. Mentir nuit et nuira à sa réputation à court, moyen et même à long terme.

Votre réputation, c’est tout ce qu’il vous reste à la fin de la journée.

Au-delà de votre chiffre d’affaires.

Au-delà du cash dans votre compte bancaire.

Au-delà de vos contrats d’approvisionnement.

Au-delà de votre réseau de contacts.

Au-delà de vos contacts politiques.

Au-delà de vos records de vente.

Au-delà des prix de reconnaissance.

Au-delà de la couverture médiatique de votre entreprise.

Et au-delà du char dans votre cour, que ce soit une Tesla, une allemande ou une italienne.

Deuxièmement, choisir de mentir, c’est d’accepter d’être confronté avec ses propres contradictions. Des faits qui reviennent vous hanter et qui viennent déconstruire les mensonges et les demi-vérités de toutes pièces que vous aviez créés. Et c’est là que les dommages font mal. Devant le fait accompli, difficile de se justifier, n’est-ce pas?

N’importe quel haut dirigeant doit être conscient qu’un mensonge sur la place publique (ou auprès d’un public cible) nuit à sa réputation et à celle de son organisation.

Comment faire autrement? Dites les choses telles qu’elles le sont, assumez-les et rapportez les faits. Point. C’est un test de leadership pour n’importe quel haut dirigeant.

  • Vous devez licencier la moitié de l’usine parce que les contrats espérés ne se sont pas matérialisés? N’inventez pas une fausse excuse à vos employés sur le plancher et dites-leur la vérité. Stratégiquement, c’est une chose de ne pas tout dire aux médias et de garder certains détails confidentiels, mais ça en est une autre de mentir à ceux qui font rouler la machine.
  • Vous ne pouvez pas payer vos créanciers? Arrêtez de mentir, donnez l’heure juste et expliquez pourquoi. Même s’ils sont mécontents, vos créanciers apprécieront votre franchise et les dommages à votre réputation seront limités. L’un de mes clients, qui a déjà traversé une pareille tempête dans le passé, me racontait que le simple fait de prévenir à l’époque ses principaux créanciers durant la crise avait fait toute la différence, et ce, malgré la faillite de l’entreprise dont il était gestionnaire. Car dans cinq ans, n’oubliez pas, vous serez « ailleurs » et fort probablement dans une situation différente sur le plan professionnel que la période plus difficile que vous traversez en ce moment.
  • Votre organisation est sollicitée par un journaliste pour commenter un dossier que vous ne maîtrisez pas? Ne tombez pas dans le piège de dire que vous n’êtes pas disponibles alors que c’est faux. Expliquez clairement pourquoi vous ne voulez pas accorder d’entrevue. Récemment, un journaliste m’a contacté pour commenter un sujet qui ne me concernait pas directement, ni un de mes clients. J’ai refusé, mais je lui ai expliqué pourquoi. Avec les vraies raisons.

Mentir, c’est une chose. Ne pas tout dire, ça en est une autre. Et c’est là toute la nuance. Une nuance avec laquelle vous éviterez de vous mettre les pieds dans les plats, notamment en dévoilant des informations qui doivent demeurer confidentielles dans l’exercice de vos fonctions.

Pensez-y à deux fois avant de mentir et de scraper votre réputation.

Parce que vos contacts, eux, s’en souviendront longtemps. Et vous nagerez à contre-courant pour rebâtir votre réputation. Comme si vous aviez les pieds enchaînés à vos mensonges…

David Couturier