Pourquoi vous répondrez « aucun commentaire »

« Aucun commentaire ».

Durant ma carrière de journaliste, je me suis fait souvent répondre « pas de commentaire ». Souvent sèchement, parfois gentiment.

En politique, lorsque j’étais attaché de presse au gouvernement, j’ai souvent répondu à des journalistes qui me contactaient avec leurs questions que « le cabinet du ministre ne fera aucun commentaire ».

Pour un journaliste, qu’est-ce que ça signifie? C’est la fin d’une première tentative, celle d’obtenir une réaction ou des précisions pour son sujet de reportage. Plusieurs journalistes vous diront que ça a le mérite d’être clair.

De l’autre côté de la clôture, pourquoi le porte-parole, lui, refuse-t-il de commenter?

Ne pas commenter : la perception populaire

Le problème en refusant de commenter, c’est souvent la perception projetée.

La plupart des gens interprètent que « aucun commentaire » signifie « j’ai peur de vous parler et j’ai des choses à cacher ». Très souvent, le public a raison d’avoir cette impression.

Qui ne se souvient pas du regretté journaliste Gaétan Girouard de J.E. qui braquait son micro et sa caméra au visage des magouilleurs en série? C’était de la bonne télé!

Lorsque j’étais journaliste, les seniors dans la salle de nouvelles appelaient cette tactique « aller buster ». Images à l’appui, le journaliste fait la démonstration aux téléspectateurs qu’il a tout fait en son pouvoir pour obtenir un commentaire, récolter une réaction et obtenir des explications coûte que coûte.

La personne qui refuse de parler ou qui fuit la caméra en courant peut échapper un commentaire d’admission qui change la donne. Et la cause devant les tribunaux si le dossier est devant la justice.

Alors que j’étais journaliste à TVA, je me rappelle d’avoir soutiré des regrets à un chauffard à son entrée au Palais de justice. Le jeune homme s’apprêtait à être accusé d’avoir tué ses amis dans un accident mortel un soir bien arrosé. Il faisait face à de graves accusations pour « conduite en état d’ébriété ayant causé la mort ».

« Est-ce que vous regrettez ? » avais-je demandé.

« Oui », avait répondu l’accusé sans conviction, la mine basse.

L’extrait s’était retrouvé dans les manchettes du bulletin de nouvelles. Le genre de déclaration qui bousille la stratégie de la défense dans un procès…

Ne pas commenter lorsqu’on n’a rien à se reprocher

L’idée, ce n’est pas de vous mettre dans le même panier que les escrocs, les magouilleurs et les chauffards. Loin de là!

Si votre organisation est dans l’œil des médias et du public, il se peut que vous fassiez face un jour ou l’autre au dilemme suivant : commenter ou ne pas commenter. Garder le silence ou parler.

Et c’est là que vous devez vous poser la question suivante :

« Est-ce qu’on réagit? »

Lorsque vous vous demandez si vous devez réagir, vous devez d’abord vous poser une question : est-ce dans votre intérêt de réagir et à ce moment précis?

  • Une entreprise privée qui ne reçoit aucun denier public a une plus grande marge de manœuvre avec les médias qu’une entreprise qui vit sous le respirateur artificiel de l’État et des subventions. Bref, lorsque l’argent public est à l’enjeu, c’est une autre paire de manches.
  • Ceci dit, si votre PME fait vivre la moitié de votre municipalité, les médias seront plus insistants même si vous n’êtes pas subventionné par Investissement Québec. Et avec raison parce qu’il est question d’un impact économique régional et de jobs, donc de l’intérêt public.
  • Les médias seront aussi insistants si votre entreprise est impliquée dans une polémique. Parlez-en à Walmart qui a été plongée dans une crise médiatique majeure pour avoir congédié leurs employés atteints de déficiences intellectuelles…

Quand les journalistes appellent

À l’époque où j’étais porte-parole au gouvernement, je recevais à l’occasion des appels de journalistes le dimanche après-midi, invitant le cabinet (ou le ministre directement) à réagir face à un enjeu qui s’apprêtait à être rapporté le lendemain matin dans le journal.

Même un dimanche, les journalistes ont un travail à faire. Ils veulent rapporter tous les points de vue d’une nouvelle avant de la publier ou d’aller en ondes. C’est une question de rigueur journalistique. Ceux qui ne le font pas devraient se regarder dans le miroir.

Lorsque je recevais ce type de requête comme attaché de presse, dans la très grande majorité des cas et malgré ma connaissance des dossiers, je n’avais pas toujours une réponse précise et exacte à fournir au journaliste. Parfois, obtenir la « réponse officielle » un dimanche impliquait une chaîne de courriels infructueuse avec plusieurs personnes au dossier. Très souvent, nous n’avions pas en main les informations nécessaires pour nous permettre d’offrir une réponse appropriée au journaliste.

Dans ces circonstances, croyez-vous qu’il était dans notre intérêt de réagir? NON.

« Pour l’instant, nous ne ferons pas de commentaire. » C’était ma réponse. Oui, des prises de bec suivaient parfois au téléphone avec les journalistes. Mais je donnais l’heure juste.

Le lendemain matin, l’article indiquait que le cabinet avait refusé de commenter. Par contre, nous n’avions commis aucun faux pas et aucun impair. De plus, à la lecture de l’article, nous étions en mesure de mieux circonscrire nos recherches pour offrir, si nous le jugions nécessaire, une réaction officielle et approfondie.

Pourquoi ne pas commenter?

Il existe plusieurs raisons louables pour lesquelles vous hésiterez à réagir et pour lesquelles vous choisirez de ne pas commenter.

En voici quelques-unes :

  • Pour valider avec rigueur la demande du média et l’ensemble des informations au dossier.
  • Pour effectuer une recherche adéquate, approfondie et rigoureuse.
  • Pour bien préparer votre réponse et peaufiner votre
  • Pour transmettre la bonne information et offrir la bonne réponse.
  • Pour gagner du temps et vous permettre de mieux réagir.
  • Pour mesurer l’impact de la nouvelle.
  • Parce qu’une réaction peut nuire à votre relation d’affaires avec vos créanciers.
  • Parce que le sujet du reportage fait l’objet d’un litige devant les tribunaux.

Mise au point : votre réaction lors d’une gestion de crise

Attention : le fait de ne pas commenter ne signifie pas de se cacher.

Je suis un partisan de la transparence. Je préfère voir un porte-parole d’une organisation oser parler à la caméra, l’entendre dire « qu’il sera prudent dans ses commentaires » et surtout expliquer pourquoi il « ne souhaite pas commenter plus en détails ».

Par ailleurs, dans certaines situations, vous devrez vous montrer proactif, particulièrement lors d’une gestion de crise. Si vous tardez trop à réagir, les médias et le public vous accuseront de manquer de transparence et de ne pas prendre vos responsabilités, ce qui risque d’entacher votre réputation à court, moyen et peut-être même à long terme. Et tout ça, parce que vous aurez refusé de répondre aux questions.

Des pièges à éviter

En terminant, comme je le mentionnais dans un billet précédent, rappelez-vous qu’il est préférable de retourner l’appel d’un journaliste et de répondre « pas de commentaires » plutôt que d’ignorer l’appel. Vous saurez ce qui vous pend au bout du nez, ce qui vous donnera du temps pour préparer votre réaction.

De plus, la formule « aucun commentaire » vous protège, du moins à court terme, contre vous-même : vous ne répondez pas n’importe quoi avec improvisation et sous le coup de l’émotion. Bref, pas de déclaration précipitée et malheureuse qui vous plongera en « damage control » ou en gestion de crise. Des paroles qui pourraient vous hanter et pour très longtemps.